Un ski sous le pieds droit, un sous le pieds gauche, ça reste encore le meilleur moyen de marcher. Aujourd’hui, c’est la grande manifestation des skieurs et il ne s’agissait pas que moi, Tonton, le meneur de ces petits jeunes, j’échappe à mes devoirs de leader. Enfin bon, devoirs, devoirs, il ne faudrait tout de même pas exagérer ! Tout le monde doit se prendre en main si on veut se sortir de cette impasse.
Tout a commencé sur un site à la con : lacoc.com, à se demander si il n’y avait pas des poudreurs de nez dans la bande. Au début, c’était un jeu tout ce qu’il y a de plus simple. On se connecte, on repère l’ennemi puis on balance ses boules, l’ennemi étant vert pour les hybrides, rouge pour les surfeurs et les gentils étant les skieurs, les bleus. Puis tout c’est enchaîné très rapidement, le jeu est devenu le centre d’intérêt numéro 1 de pas mal de joueurs : insomnies, journées de 22 heures, apparitions de tics nerveux, vision tricolore du monde, rejet de la famille ou tentative de conversions au jeu, perte de son boulot pour cause de tarte à la neige sur son patron … Heureusement que le RMI était suffisant pour se payer des pâtes en boîte et un accès au net. Et puis tout a basculé, le jeu est devenu la réalité. Pour les rouges, il fallait « éliminer » le bleu, l’éternel ennemi. Et comme ils n’y arrivaient ni aux 3V, ni à Chamonix, ils se sont lancés dans la politique. On les trouvait minables au début, mais en fait, avec l’autorisation du vote des moins de 18 ans, ils ont ramassé aisément et à la stupeur des vrais partis politiques quelques millions de jeunes voix qui ne vivaient que dans et par la coolitude de la glisse surfesque. Et lorsque Mad fut élu président, le soit disant conseil des sages éjectât les bleus et les verts et commençât les premières rafles. Les skieurs, tout comme les hybrides furent traités dans le même panier. Au début en tout cas. Rapidement, les hybrides furent assimilés à des surfeurs sans jambes donc non dangereux, ce qui les arrangea bien. Depuis, ils font tous semblants d’être handicapés des pieds. Je fus l’un des premiers à être raflé. Ce fut l’horreur. Avec Boubou, on fût enfermé pendant des jours. Assaillis de question « quelles sont tes compétences ?, combien de brouzoufs as-tu ? où habite untel ? a-t-il peuf ? ». Ils voulaient tout connaître sur tout le monde, et pire, voulaient savoir exactement comment on faisait pour coordonner nos actions aussi bien, chose qu’ils n’arrivaient que très rarement à faire. Il nous fût difficile de résister à la pression et à la fatigue comme pour de nombreux bleus également raflés, qui, faute de donner des informations satisfaisantes, furent conduits dans des camps isolés, loin de toute neige et de tout PC.
Notre chance fut que l’opinion était de notre côté, des millions de personnes, avaient au moins une fois dans leur vie fait du ski, et ils ne restaient pas insensibles à notre cause. Les surfeurs firent aussi quelques boulettes de taille : tenter d’imposer le brouzouf comme monnaie européenne n’était pas très malin, limiter les restaus à tartiflette, steak frites et bolognaises en frustrât plus d’un et quand ils changèrent le drapeau français prétextant qu’un drapeau comprenant du rouge ET du bleu était le symbole d’une patrie d’hérétiques décadents, il se rendirent à peine compte qu’ils venaient de se mettre à dos quelques dizaines d’état, Etats Unis compris. A partir de ce moment-là, il était difficile pour les surfeurs d’agir en toute impunité, même si leur première mesure au gouvernement, donner un surf à chaque jeune de moins de 25 ans, leur avait attiré pas mal d’adhérents de complaisance.
Première manifestation aujourd’hui, pour militer pour notre droit d’accès à la neige, au travail, et surtout à la parenté. Ils sont allés tellement loin dans leur politique à la con qu’ils ont interdits aux skieurs de procréer et les enfants nés sous l’ancien régime ont été placés dans des familles d’accueil « chargées de les éduquer de façon plus convenable qu’un skieur ne pourrait le faire ». Et me voilà, un ski au pied droit, un ski au pied gauche, un 5 février frisquet bien qu’en plein soleil et en train de marcher comme un con dans les rues de Paris avec plusieurs milliers d’amis en bleu et je ne sais pas combien d’ennemis qui se préparent certainement à nous assaillir. D’ailleurs, chose étrange, on dirait que des touaregs se sont joints à la marche des canards.
Plus loin dans la rue, ce qu’ignorent sans doute les skieurs, ce sont des tanks qui les attendent. Les surfeurs quadrillent une zone énorme pour l’occasion, une occasion trop belle pour la rater : des milliers de skieurs vont bientôt se rassembler place de la République, l’occasion rêvée pour les éliminer rapidement de la surface de la terre.
- Ces crétins de skieurs sont venus en ski, c’est trop beau pour être vrai Mag ! avertit le Président
- C’est une preuve de plus de leur infériorité intellectuelle : en ski et moumoutes sans un pet de neige ça leur ressemble bien !
- L’armée est en place ?
- Oui, les hybrides font bien leur boulot à ce niveau là. Organiser les guerres perverses, ça les connaît ! dès que les skieurs seront arrivés sur la place, on refermera le filet. Ils ne pourront jamais se sauver avec leurs skis aux pattes et ils ne les abandonneront pas car c’est leur seul bien à présent ! Tous les militaires sélectionnés pour l’éradication sont des surfeurs invétérés qui nous sont entièrement loyaux.
- Ils viennent de signer leur arrêt de mort, songea Mad
Un sourire de bonhomme de neige se dessina sur le visage du président, un sourire froid et glacial sur lequel en un temps quelqu’un n’aurait pas hésité à balancer une bonne vieille boule.
Tonton commençait à se demander si leur plan était vraiment bon. Effectivement, réunir tous les skieurs sur une unique place et se mettre en première position et bien en vue était le plus bel appât qu’il pouvait faire aux surfeurs. Mais est-ce que les bleus seraient tous en position au bon moment ? et est-ce que les autres pays, qui avaient été contactés n’avaient pas accéder à leur requête en se disant qu’ils étaient fous et que ça ne coutait de dire oui en attendant ?
Plus le temps de réfléchir se dit Tonton, il faut se tenir prêt, tout le monde sera bientôt là. Le ciel immensément bleu comme un paradis ne laissait apercevoir que quelques nuages à l’horizon. Un brouhaha s’élevait de la place où les slogans étaient scandés avec ferveur. Un bruit de moteur lointain était distinguable pour ceux qui savaient que quelquechose se préparait.
- Tenez-vous prêt ! hurla tonton au mégaphone après avoir brièvement regardé sa montre. Tous les manifestants se massèrent prestement autour de la colonne de la place grimpant la grande estrade qu’ils avaient fait mettre pour l’occasion.
A ce moment-là, des dizaines de tanks apparurent au coin des rues encerclant la place, des milliers de militaires en tenue de camouflage rouge apparurent. Tonton eut un sourire aux lèvres. L’appât avait marché, très bien marché. Il pouvait distinguer pas très loin derrière les lignes ennemis le Président ainsi que sa compagne et conseillère Mag qui avait depuis longtemps divorcé de son précédent mari. Il comprenait leurs sourires glorieux. De toute évidence, ils ne souriraient pas s’ils avaient imaginé, ne serait-ce qu’une seconde, que des hauts gradés de l’armée, anciens chasseurs alpins pour certains, sympathisants des skieurs pour d’autres, avaient aidés à organiser la résistance et l’actuel puch en dissimulant l’activité anormalement élevée des radars aériens. Le bruit lointain des moteurs se transforma en bruit assourdissant. Des centaines, des milliers de canadairs, de frelons, d’hercules de tous pays, drapeau bleus et rouges pour la plupart, anonyme pour d’autres vrombirent au dessus de Paris, larguant à des points convenus leurs cargaisons. C’était un ballet aérien magnifique, la plus belle chute de neige de l’histoire et les rues s’en remplissaient tandis que le centre de la place où s’amassaient les skieurs étaient judicieusement épargné.
Quand les rouges virent ce qui leur arrivait dessus, la stupeur se lut sur leurs visages : des tonnes et des tonnes de neige ! La température chuta brusquement alors que les tanks se retrouvaient ensevelis. Beaucoup de surfeurs furent directement assommés par ces boules de neige énormes qui tombaient du ciel. Bien sûr, la communauté internationale aurait refusé d’envoyer des hommes armés ou tout soutien du style. Par contre, envoyer de la neige par les airs, ça, ils avaient été d’accord et enthousiasmés par l’originalité de la contre attaque et par sa « pacifité ».
Lorsque les danseuses du ventre aériennes se retirèrent, la zone entière était devenus un immense champ de neige.
- « allez-y ! » cria Tonton au mégaphone sans laisser un instant de répit aux bonzommes en rouge.
En plus des milliers de skieurs qui s’élançaient du centre de la place, des boules de neige toute prêtes dans les mains et le sourire aux lèvres, d’autres sortirent alors des bâtiments. Le désarmemnt commençât pendant que Tonton, épaulés de Boubou, Lufius, AK et quelques autres skieurs sapaient le moral de l’ennemi déjà fort troublé.
- « Vous êtes foutus ! vous venez d’être sonnés et de vous prendre 60 PV ! vous avez besoin d’être hospitalisé ! vous avez perdus la moitié de vos brouzoufs ! vous n’êtes plus des tueurs ! Rendez-vous, nous ne vous ferons aucun mal ! »
Bref, en à peine 30 minutes, tous les rouges étaient désarmés. Les deux M&M’s avaient dû se prendre quelques boules supplémentaires quand ils avaient fait mine de s’éclipser prudemment, mais tout s’était passé sans qu’un coup de feu ne parte et sans que le sang soit versé. Les rouges, à présent sans arme et réunis au centre de la place se remettaient péniblement de leur défaite.
Des frelons arrivèrent et se posèrent sur la place, des casques bleus en descendaient promptement tout en encadrant un petit homme noir vêtu d’une grosse doudoune bleue qui se présenta sous le nom de Hunte auprès de Tonton.
- comme vous le voyez, monsieur « Tonton », nous avons accédé à toutes vos requêtes logistiques. Que comptez-vous faire à présent ? il faut un président à ce pays !
- certainement, mais ce n’est pas pour moi, ni pour nous ! L’ONU se chargera bien de gérer le pays le temps d’organiser de nouvelles élections, non ?
- Et pour eux ? demanda avec circonspection M. Hunte en désignant les surfeurs étroitement surveillés.
- Justement, j’aurai une dernière requête. Je pense qu’ils auraient besoin de soins psychologiques et il n’y aura jamais assez de psychiatres, psychologues ou psychanalystes en France pour tous les soigner !
- Requête accordée, je suis sûr que toutes les pays se feront un plaisir de leur envoyer des psychologues qui leur apprendront à apprécier les drapeaux rouges ET bleus. Monsieur Tonton, vous êtes trop bon.
Le petit homme lui sourit en s’éloignant et alla donner des ordres aux différents militaires qui se trouvaient sur place.
Les skieurs bleus laissèrent ainsi leur place à la surveillance aguerrie des casques de la même couleur. Tonton se retira discrètement avec ses plus proches compagnons. Il allait pouvoir retrouver son fils, sa famille, et enfin redescendre les pistes, avec des skis aux pieds. Une foule en effervescence continuaient à scander dans les rues « Tonton est trop bon, vive Tonton ! ». A défaut de prendre la présidence, peut-être allait-il aider Lolo à remonter le serveur et son jeu, mais alors, pas question de jouer plus d’une fois toutes les 22 heures !
Et la vie se remit doucement en place comme avant avec les projets de réforme de la retraite et du chômage, le trou de la sécurité sociale, et les politiques véreux de tous bords. On n’entendit plus parler des M&M’s, sauf dans certaines pubs de la télé, mais chose étrange, l’un d’eux avait changé de couleur.
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